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19 décembre 2011 1 19 /12 /décembre /2011 08:28

  Dans les relations que nous entretenons avec ceux qui nous entourent, il y a des usages sur lesquels tout le monde s'entend. On se serre la main droite, on se dit bonjour, au revoir, on ne pose pas de question indiscrète, et on ne rentre pas par effraction dans le domicile d'un tiers.

  Mais il y a un domaine qui reste soumis à l'appréciation personnelle, très variable selon les individus : le tutoiement et le vouvoiement.

  Imaginez. Vous discutez avec un voisin, de trente ans de plus que vous, que vous commencez à peine à connaître depuis deux semaines qu'il habite votre immeuble. Vous entretenez pour la deuxième ou troisième fois une conversation très générale, tout à fait banale, sur la couleur des boîtes aux lettres ou l'emplacement du local poubelles, quand brutalement, à un moment que vous ne pouvez absolument pas prévoir, arrive la question fatidique :

- On peut se tutoyer si tu veux ?

  Il est à noter que les partisans du tutoiement sont en position de force face aux habitués du vouvoiement qui, à moins de prendre le risque de vexer leur interlocuteur, n'ont souvent pas d'autre choix que d'accepter cette proposition, laquelle, de plus, se veut une grande marque d'amabilité et de simplicité.

- Ah, oui, si vous voulez. Euh, si tu veux, volontiers. Et donc, vous en pensez quoi du local poubelle, enfin je veux dire, tu en penses quoi ?

  Pour un individu pour qui le vouvoiement n'est pas naturel, la situation est toujours quelque peu pénible. Même si l'on a l'impression de se faire un peu forcer la main, de se faire imposer une familiarité qui semble parfois inappropriée, il faut essayer de paraître satisfait, sans excès toutefois, et surtout surveiller attentivement ses propos pendant plusieurs jours pour chasser le « vous » qui a tendance à surgir inopinément à la place du « tu ».

  Plus délicat encore, certains inconnus que personne ne vous à présentés s'adressent parfois à vous de but en blanc en vous tutoyant sans vous demander votre avis, estimant que le fait que vous vous trouviez tous les deux occupés à la même activité dans le même lieu au même moment crée d'emblée une familiarité suffisante pour bannir des formes de politesse jugées excessivement alambiquées. Par exemple, dans la queue du self-service de votre entreprise, la personne qui se trouve devant vous, et que vous ne connaissez ni d'Eve ni d'Adam, se retourne brusquement vers vous :

- Tu as vu ce qu'il y a au menu ?

  Il est recommandé, autant que possible, de ne pas sursauter, et de garder pour soi des réponses malheureuses telles que « Pardon, on se connait ? » ou « On n'a pas élevé les cochons ensemble ! ». Bien-sûr, s'il se trouve que vous êtes le directeur de la société, vous pourrez toujours vous permettre de reprendre l'insolent qui s'adresse à vous sans aucune considération, mais si vous avez le malheur de n'être que le stagiaire du fond du couloir, vous aurez rarement votre mot à dire. La seule chose que vous pourrez faire, en dégustant vos carottes râpées, ce sera de vous demander pourquoi le tutoiement vous est si peu naturel. Êtes-vous victime d'un traumatisme remontant à l'enfance ? Avez-vous subi une mutation génétique ? Ignorez-vous l'existence d'une loi imposant le tutoiement, d'un onzième commandement, d'un énième droit de l'homme ? Ou bien êtes-vous né à la mauvaise époque, suite à un paradoxe temporel ?

  Remarquez que la seule tentative de régler définitivement la question fut celle des Sans Culotte de la Convention qui imposèrent par décret l'usage, enterré deux ans plus tard par la Convention Thermidorienne, du tutoiement obligatoire.

  A l'époque, on savait trancher un sujet.

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commentaires

L
C'est drôle, je m'apprêtais à écrire un billet exactement sur le même sujet! ça ne vous dérange pas?
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A
<br /> <br /> Ah non pas du tout, j'ai hâte de lire ce que la Belette en pense ! (tu vois, j'excelle à employer des formules impersonnelles pour éviter de prendre parti entre tutoiement et vouvoiement. Enfin<br /> vous voyez, quoi. Bref...)<br /> <br /> <br /> <br />
S
Je prends le temps de fouiller dans tes archives. Crois-moi, Albane, rien de ce que tu écris n'est banal. Tu es le sel de la blogo (et la Belette est le poivre). Merci!<br /> Pardon : je te tutoie...
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A
<br /> <br /> Ma chère Stelda, je suis très touchée par tes compliments, et très flattée de partager avec la Belette le rôle de condiment de la blogosphère. Je vais tâcher de continuer à écrire des billets<br /> bien assaisonnés... A bientôt !<br /> <br /> <br /> <br />
L
Oh la la, ce sujet me parle !!! Pour tout dire, je vouvoie tout le monde et j'ai un mal fou à passer au tutoiement. Je vouvoie même les mecs de mes copines qui sont beaucoup plus âgés qu'elles<br /> (quoi, 57 ans, c'est vieux non?). J'ai beau me raisonner, ça sort tout seul. Ma nounou me tutoie et moi je la vouvoie, au boulot tout le monde se tutoie sauf moi qui dégaine du vous à tout va...<br /> Bref la ringarde de service c'est moi...
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A
<br /> <br /> Merci pour ce commentaire, ça fait plaisir de se sentir un peu moins seule !<br /> <br /> <br /> <br />
M
Tu as tout à fait raison !
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A
<br /> <br /> On se connait ???<br /> <br /> <br /> <br />
G
Le mieux c'est encore d'éviter tout contact (au moins verbal) avec les gens !
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A
<br /> <br /> Radical, mais efficace.<br /> <br /> <br /> <br />

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  • : Les extraordinaires banalites d'Albane
  • : La trentaine, mariée, des enfants, une vie tout à fait banale en somme. Sauf que, aussi banale soit elle, la vie nous réserve toujours de pittoresques surprises. Une conversation, une gaffe, une confidence, une rencontre, une anecdote... ce sont ces faits saillants de la vie de tous les jours que je me décide à mettre par écrit.
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