Un lundi matin du mois de juillet (ou peut-être était-ce un jeudi du mois d'août – mais qu'importe).
Un jardin public en pleine ville, un soleil qui chauffe déjà fort malgré l'heure matinale, peu de monde à part mes quatre enfants qui s'amusent sous ma surveillance.
10h37 : depuis le banc où je suis assise, deux policiers municipaux traversent mon champ de vision en parcourant l'allée principale du parc.
10h41 : « Maman, tu as vu, l'un des deux policiers portait un petit lapin dans ses mains. » Par habitude j'accorde une attention légère à ces propos, ayant déjà entendu parler auparavant d'un squelette enterré sous le toboggan, d'un voleur caché dans un arbre et d'un crocodile tapi dans les égouts.
10h43 : retour des deux policiers municipaux. Au temps pour moi : l'un d'eux porte effectivement un petit lapin gris dans les bras.
« Vous avez un jardin, Madame ? Vous ne voudriez pas adopter ce lapin ? »
Je n'ai pas de jardin et guère l'envie d'adopter un quelconque léporidé à quelques jours de mon départ en vacances, n'en déplaise à mes enfants qui accourent assister à la conversation.
« On l'a trouvé dans la rue, on voulait le laisser dans le jardin, mais il nous suit. »
« Cela doit être un lapin domestique, ajoute l'autre policier. Si on le laisse, il va se faire dévorer par un rat ou écraser par une voiture. »
« Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir en faire alors ? »
10h48 : Les tergiversations policières se poursuivent quand soudain bondit une dizaine de puces sur le bras de l'agent en train de caresser la fourrure du lapin.
« Bon sang ! » s'exclame le policier en lâchant l'animal à terre.
10h52 : La décision est prise. Il faut sauver le petit lapin gris.
« J'appelle le PC. »
Le policier dégaine son talkie-walkie qui grésille en s'allumant.
« Allô PC, vous me recevez ? »
« 5 sur 5 Brigadier, je vous écoute ».
« On a un gros problème. Un petit lapin gris. »
« Un petit lapin gris ? »
« Ouais, on voulait le relâcher mais c'est un lapin domestique, il va se faire dévorer. Et puis il est plein de puces. »
« Je vois. Il faut sauver le petit lapin gris. J'en parle au chef, je vous rappelle. »
10h54 : Après quelques instants, le talkie-walkie grésille à nouveau.
« Brigadier, ici le PC. Bon, le chef a décidé, vous allez conduire le lapin chez un vétérinaire. »
« OK, mais on fait comment, il est plein de puces ? »
10h56 : Décision est prise d'aller demander un carton vide dans l'un des immeubles de bureaux d'à côté. Pendant ce temps le petit lapin gris et ses puces prennent du bon temps sur la pelouse.
11h03 : Retour de l'agent de police muni d'un carton et de son couvercle.
« Je leur ai dit : il faut sauver le petit lapin gris. Ils m'ont trouvé une boîte vide. »
11h04 : Au mépris du danger, l'un des agents s'empare courageusement du lapin qui se laisse enfermer dans la boîte en carton.
« Est-ce qu'il va mourir ? » me demande l'un des enfants.
11h06 : Les deux policiers sortent du jardin public, portant leur précieux chargement, les talkies-walkies rangés à leur ceinture, le pas lent et la démarche grave.
On a sauvé le petit lapin gris.