Un jour, j'ai rencontré mon futur mari, et un autre jour je l'ai épousé. Mais ni l'un ni l'autre de ces deux jours, ni aucun de ceux qui se sont passés entre eux, je n'ai pensé que mon mariage révolutionnerait ma vie autant qu'il l'a fait.
Bien-sûr, je m'attendais à certains changements. J'ai désormais quatre enfants que je ne connaissais pas le moins du monde auparavant, un écran de télévision d'une taille démesurée, une collection de chaussures pointure 45 dans mes armoires, de chemises bleues dans la penderie et de chaussettes noires dans un tiroir, des comics de Spiderman dans mes étagères, l'intégrale Star Wars dans ma DVDthèque, une gravure représentant un vieux pont levant de Brest pendue à un mur et une autre, un trois mâts quelconque, encadrée d'une baguette dorée passablement défraîchie.
Rien de tout cela, à vrai dire, n'a été tout à fait inattendu. Je me doutais bien en me mariant qu'il me faudrait partager des armoires, des étagères et des penderies, et qu'au milieu de tous ces meubles naîtraient quelques enfants qui auraient les yeux de leur père et le sourire de leur mère – ou le contraire.
Le changement dont je parle a été bien plus insidieux, bien plus profond que tout cela. Au début j'y voyais une simple habitude superficielle, susceptible, comme beaucoup d'habitudes, d'être modifiée au gré des circonstances. Jamais je n'avais ressenti l'attachement fondamental et viscéral que celle-ci représente en réalité. Plus qu'une habitude, ce sont avant tout des convictions familiales, transmises de père en fils et de mère en fille, le reflet de traditions régionales millénaires, de coutumes absorbées dès le sein maternel depuis des générations. C'est un art de vivre, mais avant tout une pratique essentielle et quasi superstitieuse, de celles qui créent un gouffre immense entre ceux qui s'y adonnent et ceux qui n'y adhèrent pas.
J'ai vite compris que je ne pouvais m'opposer à de tels préceptes, le jour où j'ai mis mon mari dans l'impossibilité de pratiquer le rituel du matin. Autant vous dire que je n'ai jamais recommencé.
Pourtant, pendant longtemps, nos deux pratiques ont cohabité côte à côte : chacun a poursuivi dans ses habitudes, dans un esprit d'ailleurs on ne peut plus pacifique et tolérant. Mais quelque chose manquait peut-être encore à l'harmonie du ménage...
Car petit à petit, je m'y suis mise. J'ai commencé doucement mon initiation. Je me suis laissée toucher par la saveur de cet usage, plus encore lorsque les enfants l'un après l'autre, ont embrassé la religion de leur père. A quoi bon continuer seule dans cette voie qui, de plus en plus, me paraissait fade et insipide ?
Alors j'ai fait le grand saut et j'ai sacrifié mon ancienne vie sur l'autel de mes nouvelles croyances. Tout, depuis, a changé définitivement... du contenu de mon réfrigérateur à ma manière de faire de la pâtisserie.
A vrai dire, j'aurais peut-être pu me douter il y a quelques années déjà qu'en épousant un breton j'allais forcément, un jour ou l'autre, abjurer mon ancienne affection pour le beurre doux et adopter à tout jamais le beurre demi-sel comme seul et unique représentant de son espèce, allant jusqu'à confesser une vénération sans limite au caramel au beurre salé.
Il y a quand-même des conversions plus faciles que d'autres...
En revanche, rassurez-vous, ce n'est pas parce que j'ai confectionné hier ma galette des rois avec du beurre demi-sel que j'accepterai un jour de sortir l'immense drapeau breton du placard où il est rangé depuis que mon mari a quitté sa chambre d'étudiant...
Il n'y a pas que les bretons qui savent être têtus.